Voici novembre, son brouillard de circonstance, ses embouteillages de porteurs de chrysanthèmes dans les cimetières de l’hexagone, sa vieille fête païenne pervertie par le business providentiel des marchands de bonbons et autres confiseries dans une ambiance citrouille, sa célébration pathétique de l’anniversaire de la grande boucherie avec sonneries aux morts pour ceux qui ne “sont plus que pour avoir péri” dans la seule partie de France où ils portaient l’uniforme des gars d’en face…Mais surtout. Surtout quoi? Ben son grand cirque récurrent qui nous occupe tous les quatre ans de l’autre côté de l’Atlantique avec une couverture médiatique chaque fois plus délirante où en temps réel on assiste au grand déballage de la démocratie. Même les peuples russes, chinois, nord-coréens et iraniens suivent ça en direct. Mieux que l’olympiade parisienne. Que même un débarquement extraterrestre s’ il avait lieu serait occulté. Ca ne risque pas d’arriver car pour peu qu’une civilisation existe quelque part dans le grand vide sidéral, sûr qu’elle n’aurait aucun mal à être plus avancée que la nôtre tant il apparaît évident, vu le nombre de pays que nous sommes à prétendre au titre de peuple le plus con de la terre, que l’on aurait aucun mal à nous voir décerner celui de planète la plus dégénérée de la galaxie. Drôle de novembre, drôle d’année. Ici, le chien, le chat et la souris ne se font plus la gueule tant ils sont reconnaissants aux nuages porteurs de drames d’avoir épargné leur foyer. itou pour le dessinateur bien conscient d’avoir le luxe de pouvoir râler et vitupérer en dénonçant les absurdités confuses dont son quotidien politique se voit chaque jour habillé du plus mauvais goût. Un peu de distanciation. Certes il n’est que peu productif de se joindre au cortège des jamais contents , des insatisfaits et autres complotistes de fête foraine, mais de temps à autre il faut bien attirer l’attention de ses semblables dont la sempiternelle ritournelle du “vous en avez de la chance de faire ce que vous aimez” a pris un sacré coup de vieux. La chance oui elle existe toujours, la passion est toujours là, l’émotion intacte qui nous suivra jusqu’au cimetière. Ne pariez pas, vous n’avez aucune chance. Faut dire qu’elle était un peu plus flagrante de générosité la chance, quand avec le fruit d’un seul dessin pour un grand quotidien catholique national, à la fin des années soixante dix au début des années quatre-vingt, on pouvait se loger. Eh oui. les preuves existent , je peux fournir. J’ai la mémoire des chiffres, ça vient de l’éducation jésuite. Et savez-vous quoi? et bien aujourd’hui un dessin dans un quotidien du plus grand groupe de presse nationale est payé pratiquement au même prix. Il y a plus de quarante ans! Au cimetière l’inflation, aux oubliettes! Bercy beaucoup et revenez nous voir , on adore ce que vous faites? Si, si. Quelqu’un a t il la mémoire du prix d’un café expresso ou d’une baguette il y a quarante ans? Allez un petit effort de mémoire je sais que vous savez que je sais que vous savez. Mais c’est toujours plein de surprise de voir si la mémoire ne vous fait pas d’infidélités. Quand vous aurez trouvé un jeune dessinateur qui aujourd’hui se loge avec un dessin, tenez m’en informé j’aime quand on m’apporte des bonnes nouvelles. Aujourd’hui si j’en crois les échanges que l’on peut avoir avec de jeunes confrères ou consoeurs, un album de bandes dessinées de cent quarante pages est payé quatre vingt euros la page. Deux ans de travail. Vous avez certainement eu la chance d’avoir appris à compter juste au sein des écoles de la République. Le calcul est vite fait . La chance a changé de camp. Changé de forme. Changé de modèle. Aujourd’hui, ainsi que me l’a avoué un fort sympathique et talentueux auteur rencontré lors d’un échange passionnant à l’occasion d’une récente foire du livre : ” ma chance , c’est d’avoir rencontré un homme que j’aime, qui m’aime et qui me permet de faire le métier que j’aime.”Aimer, faut dire, c’est pas le métier de tout le monde .Et gratuit le dessin du jour, chanceux que vous êtes.