Voilà octobre avec son vent qui menace de faire craquer les branches, comme le chante si joliment le poète. Les pommes abondent encore dans les vergers, les chiens ont cessé d’aboyer, les chats miaulent mollement et les souris, imperturbables, chicotent. Mais que fait l’alsacien ? Il bat le pavé, monsieur. Il se rassemble, mécontent, outré, agacé. En un mot il manifeste. L’objet de son ulcère automnal est une réforme teritoriale qu’à juste titre il trouve scélérate. Aussi, afin de couvrir d’opprobre cette hérésie, a-t- il choisi une date : le onze octobre.
Pour être honnête, il n’a pas vraiment eu le choix. Il avait bien tenté une date en septembre, mais les intrigues de basse politique ont eu raison de son élan citoyen et il a abdiqué face à la proposition des trois clowns tristes qui dirigent ses institutions et qui lui ont adressé un message sans ambiguïté. Peu importe ce qu’il avait prévu ce jour là, l’alsacien, il a du sur le champ le remettre. On ne quémande pas là, on n’implore pas. On somme, on ordonne, on exige. Mais cette exigence, toute de calendrier faite sur ce onze octobre, n’aurait-on pu l’exercer plus tôt ? Le vingt huit septembre par exemple, ou le quatre octobre ? Le citoyen alsacien s’y serait plié avec le même enthousiasme, la même obéissance, la même détermination. Naïf qu’il est, nais que vous êtes, naïfs que nous sommes.
La dernière semaine de septembre aura vu tout ce que l’Alsace compte d’enrubannés tricolores être occupés à intriguer en monnayant ses bulletins de vote, qui pour une faveur, qui pour sauver son cul lors de la mascarade des élections sénatoriales. Tout ou presque, car il semblerait que le grand électeur, lui aussi, par beau temps, oublie le chemin des urnes. Quant à la semaine suivante, c’est encore mieux : les mêmes auront été occupés à aller s’afficher sur le passage de l’innommable saloperie polluante et hypersubventionnée qu’est le Rallye de France. Ca porte un nom, ça s’appelle la dictature de l’agenda . Et encore a-t-on échappé au pire. Richert aurait pu avoir piscine le onze octobre, Kennel marier son fils le dix-huit et Buttner un baptême le vingt-cinq. Après c’était la Toussaint, les commémorations de l’armistice de la grosse boucherie (grand moment en cette date d’anniversaire), pour enchaîner sur le temps de Noël. Vraiment on a eu chaud ! La dictature de l’agenda, je vous le répète : on vous dit où faire et quand le faire. Cette manif comme on l’appelle (seigneur quand passera- t-on une loi pour supprimer ces abominations du lexique de la langue française que sont les apocopes ?), oui cette manifestation n’était pas la vôtre, n’était pas la nôtre, n’était pas la mienne. Elle était et reste celle d’intrigants uniquement préoccupés de préserver leurs privilèges et d’opportunistes occupés à sauver le siège sur lequel repose leur gros cul d’inutile et d’incompétent, qui ont tellement tout loupé depuis qu’ils sont à la manœuvre qu’il ne reste plus que le classique coup de l’unité dans le grand rassemblement pour faire illusion. Vous n’avez pu les louper, ils marchaient ensemble bien devant le cortège, qui était fatalement impressionnant, arborant leur écharpe républicaine, offrant leur meilleur profil aux photographes qui n’ont pas manqué de faire le triste boulot pour lequel ils sont payés.
Bon nombre de camarades (merci de comprendre ce mot dans son sens non perverti par les heures sombres de notre histoire récente) auront marché en Rot un Wiss et il me peine d’avoir à leur dire que marcher derrière des gros cons, c’est quand même cautionner une grosse connerie. De temps en temps, il faut admettre que l’invective et la colère ont du bon. Aussi aurais-je pu me laisser aller à dire que cette manif de merde, depuis son annonce honteuse, je chiais dessus et que je suis allé m’essuyer dans le compte rendu du torche cul local qui avait déjà reçu l’assentiment du président du Conseil régional un mois avant parution. Pardonnez-moi, ça soulage quelques fois de ne pas rester dans le non-dit. A vrai dire, le onze octobre, tout bien réfléchi, je m’en fous. Je suis allé boire un café place Stanislas, au Foy, avec quelques vieux camarades lorrains qui eux ne manifestaient pas, ne manifestent plus et qui n’arrivent toujours pas à comprendre comment je peux à ce point aimer une région qui n’en a rien à foutre de moi et met un tel entêtement biologique à se laisser manipuler à ce point…