La France , monsieur, c’est le pays des fromages, certes, mais c’est aussi celui des présidents. Ce n’est pas pour rien qu’un des fromages les plus célèbres ait choisi comme nom la fonction suprême ni que le plus grand des présidents se désolait de ne pouvoir gouverner un pays de plus de trois cent fromages. Tout comme les allemands ont la fâcheuse habitude d’être tous docteurs en quelque chose les français ont celle de vouloir être président un peu comme le proverbe turc qui prétend que l’important c’est d’être chef , même d’une tête d’oignon . Tous présidents avec cette fâcheuse obligation une fois élus de se revendiquer président de tous … Tous présidents .Tous sauf vous et moi apparemment parce que vous , je ne sais pas trop, mais moi ? président ,alors que j’ai déjà du mal à présider la table du petit déjeuner … alors celle des ministres!… Moi, je suis dessinateur . La seule table sur laquelle je peux revendiquer avoir une quelconque autorité , voire exercer une forme de pouvoir, c’est la table à dessin où le papier et les crayons occupent les deux premiers rangs dans l’ordre protocolaire.Il m’arrive la nuit d’interrompre mon sommeil et d’aller voir si cet ordre est bien respecté. Ce n’est pas dû à l’insomnie mais au besoin urgent d’exercer ma fonction . Le dessinateur développe très tôt un symptôme reconnu par la faculté de médecine mais hélas nullement par les caisses d’assurance maladie, dénommé syndrome de “designare mingerendum” qui ne signifie rien d’autre que l’envie de dessiner peut lui prendre comme une envie de pisser. Je tiens de Georges Wolinski qui en matière de prostate graphique faisait autorité que c’est à ce syndrome se développant la nuit que se reconnaît le dessinateur qui aurait des doutes sur son identité. Aussi chaque fois qu’il m’arrive de me relever la nuit pour dessiner , je pense à Wolinski. Cette nuit je pensais à lui. Wolinski me manque. Toute la bande me manque ( d’autant plus qu’à un certain âge on ne bande plus guère, même à part), lui et les autres .Ils osaient tout , on ose plus rien . Ou si peu. Ils osaient le cul, ils osaient l’invective et l’insulte, ils osaient l’irrévérence alors que la bonne conscience d’ alors qui n’avait pas encore l’appellation officielle de police de la pensée ne voyait que de la grossièreté. Qui oserait aujourd’hui attribuer au président en exercice et à sa ministre les qualificatifs du plus vieux métier du monde alors que Wolinski le faisait avec le couple Chirac Balladur? Ou utiliser sans réserve le vocable dont un autre Georges disait qu’il aimait le faire plus que le dire ou quelque chose dans le genre…Quand on pense qu’une intervention officielle de Messmer ou de Poniatowski paraîtrait presque douce et fleur bleue rà côté de l’horeur qui se déverse quotidiennement sur les saloperies de réseaux à propos de tout et de rien, on se dit que la pornographie, la vraie, celle dont Baudrillard nous a démontré qu’elle était dans tout ce” visible plus que le visible” , cette pornographie est bien loin de quelques dessins de fesses et de paires de seins à l’air qui nous faisaient bien rigoler en nos années lycée quand nos copines étaient priées d’aller revétir une tenue plus décente dès qu’un pull ou un pantalon avaient le malheur de coller un peu trop à leurs si jolies peaux d’adolescentes. On a peur de tout et on ose même plus nommer cette peur . On a peur de ne plus pouvoir remplir les réservoirs de nos bagnoles alors que le seul permis qu’on devrait revendiquer c’est celui d’éconduire les types qui fixent le prix du carburant . On a des médailles Fields plein les placards de la république et on n’est même pas capables de compter au-delà de cinq . Alors qu’on pourrait peut être dimanche , non? Mais tout ça ne nous rendra pas Wolinski…