Le barnum londonien squatte l’essentiel de l’information en ce mois d’août. Les joueurs de foot super subventionnés de la capitale alsacienne ont rechaussé leurs crampons pour l’entrainement et le bientôt nonuple champion du monde de rallye n’est pas encore de retour. Quant au soleil, il est bien là. Face à cette disette évènementielle, le moment s’avère idéal pour mettre un peu de culture à la une de la presse locale. C’est si rare que cela mérite d’être signalé et loué : le tract néo-libéral a mis l’accent sur la création d’un groupement de libraires indépendants alsaciens. Si cette initiative doit être saluée avec réjouissance, il importe surtout de féliciter l’homme qui, en tant que président, va fédérer cette nouvelle association : Dominique Ehrengarth, de la librairie éponyme. Félicitations Dominique, et bon courage! Il t’en faudra plus que nécessaire dans une région culturellement arriérée, administrée par des élus, pour un grand nombre d’entre eux, intellectuellement sous développés dont la prouesse principale est d’avoir réussi en vingt ans à instaurer une dictature de la superficialité et du mauvais goût qui pourrait être déposée à Sèvres, si la république bananière des lettres devait avoir, un jour, un mètre étalon…
Ce sont eux qui vont fournir l’essentiel de tes interlocuteurs avec, en haut de la pyramide, un président de région dont la réputation de lecteur est bien difficile à faire n’ayant pas l’ombre d’un embryon d’existence.
Avec quelques collègues auteurs illustrateurs on se serait bien cotisés pour lui offrir cet été un voyage vers une destination inconnue, la visite d’un territoire exotique dans lequel nous sommes sûrs qu’il n’a jamais mis les pieds : ta jolie librairie du quartier de Neudorf. Mais l’idée n’a pas fait l’unanimité, certains d’entre nous confessant quelques rancunes personnelles assez tenaces.
Comme tu es un garçon au professionalisme exemplaire empreint d’une courtoisie irréprochable, qui met un point d’honneur à cultiver l’absence de préjugés face aux élus, laisse moi éclairer ta lanterne quant à tes rapports avec tes futurs interlocuteurs : il n’y a pas de politique du livre en Alsace quoiqu’en dise le président de région qui a découvert ce concept le jour où le type qui écrit ses discours est allé glaner ces éléments de langage sur internet. Il n’y en a pas car il n’y a pas la volonté qu’il y en ait.
Le dernier fait d’armes du président de région, pour ce qui concerne la filière du livre, est une navrante illustration du fameux théorème de Korski-Goloubinov sur l’incompétence exponentielle des commissions tripartites au sein des administrations, dont l’image du nénuphar qui double de surface chaque jour constitue l’achétype de démonstration : le nénuphar est le fonctionnaire, l’étang le champ d’expérimentation de son incompétence et le doublement de surface l’exercice inflationiste de cette incompétence.
Soit dans les faits :
– Un premier fonctionnaire qui a l’idée brillante (si on subventionnait un alsatique imprimé en Chine?)
– Un second qui la valide (ah oui, c’est une très bonne idée)
– Un troisième nécessairement au sommet de la hiérarchie qui la cautionne et la valorise devant un parterre servile et muet de professionnels de l’information qui vont la relayer sans oser émettre la moindre réserve ou critique ( “ Voyez cet ouvrage imprimé en Chine avec l’argent de la région comme il est bien imprimé, ah ces Chinois il n’y a pas à redire, ils savent travailler“- sous entendu en direction de la filière de l’imprimerie locale déjà exsangue ” Pas comme vous bande de nuls qui êtes trop chers et travaillez n’importe comment“…) Pathétique non ? Et toi, en bout de chaine, on te demande de faire des efforts pour vendre ce bouquin qui est forcément l’alsatique de l’année….sans te rabaisser un taux de TVA qui figurait pourtant au programme du président élu (national celui là), et sans s’étonner que certains dimanches on puisse te croiser à faire ton métier, qui entre autres réjouissances implique de porter des caisses de bouquins sur des salons où il te faut bien aller rencontrer le public et vanter les mérites de ta librairie….
Aussi as-tu bien du mérite de te rajouter l’organisation d’une association et des réunions interminables où tu vas inlassablement expliquer ton métier à des techniciens qui, comme on dit en allemand, n’ont pas toutes les tasses dans l’armoire…ou tous les livres dans la librairie …..
Je te salue bien fraternellement et rends hommage à ton engaement.
Et c’est ainsi que Saint Georges, patron des libraires que l’on fête le vingt-trois avril, est grand, Dominique Ehrengarth est son prophète alors que Philippe R., son futur interlocuteur, n’est que le représentant de commerce du lobby de l’imprimerie chinoise.
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