Oui Oui et le référendum

Cela a toutes les chances d’être l’évènement littéraire du printemps, voire de l’année, en Alsace. Un éditeur audacieux et qui requiert l’anonymat aurait acquis, pour la région, les droits du personnage le plus fameux d’Enid Blyton dont les aventures blondes et acidulées ont accompagné les premiers émois de tant d’apprentis lecteurs sur plusieurs générations dans le monde entier. Les ayant droits, après proposition, auraient signé pour une nouvelle aventure, forcément inédite, d’un des personnages les plus populaire de la littérature mondiale. Une source anonyme proche du dossier nous a dévoilé le titre et le synopsis en exclusivité: “Oui Oui et le référendum.” Un texte à la fois sobre et riche,  soutenu par une syntaxe à la construction grammaticale et au champ lexical accessibles au plus grand nombre serviront merveilleusement une intrigue à la construction d’une linéarité exemplaire. Le petit pantin, coiffé de son bonnet si célèbre, troquera pour une fois son taxi emblématique pour une Bugatti flambant neuve au volant de laquelle il devra s’acquitter d’une mission hélas bien dans l’air du temps. Car la crise menace dans le petit duché d’Alsace. Le nouveau roi de Paris, un tigre redoutable venu de Hollande (un hollandais feulant…) a ordonné que des efforts soient faits dans tout le royaume. Aussi les trois oncles de Oui Oui, quelque peu atteints par la limite d’âge, doivent-ils montrer l’exemple et quitter leur grands palais respectifs,  un peu vétustes et trop éloignés les uns des autres, pour venir habiter ensemble au sein d’une grande maison unique où ils pourront, loin de l’agitation du monde, goûter une retraite bien méritée.
On nous annonce plein de péripéties, de rebondissements , de suspens, avec dans le rôle du méchant de service, qui tentera vainement d’empêcher les forces positives de triompher, un grand hamster caricatural et malgré tout plus vrai que nature que notre petit héros écrasera dédaigneusement au volant de sa veyron décapotable. Pour le seconder, les créative characters de la maison d’édition ont inventé toute une foule de Ouiouistitis : des sortes de grands singes  de couleurs différentes. Des verts, des roses, des bleus, même des bruns, en costard cravate et écharpe tricolore qui veillent sur lui tout au long de l’aventure et dont le cri de ralliement unique est “oui oui oui oui”prononcé sur tous les tons,  à tout bout de champ.
Plus qu’un simple coup d’édition , ça promet dêtre un raz de marée éditorial !
Rien qu’avec les dizaines de milliers d’exemplaires que le Conseil Régional va acheter pour les distribuer gratuitement dans toutes les écoles d’Alsace aux innombrables têtes blondes qui apprennent à lire….C’est plus fort que la biographie d’Adrien Zeller offerte à tous les maires des deux départements. Là c’est du lourd, de l’énorme, du titaniquement titanesque mais sans iceberg en vue hein…. Ah ce n’est pas moi qui aurait eu une idée de cette ampleur, de cette hauteur, de cette brillance ! Ma fortune serait faite, à moi les relais, les réseaux, les connections, j’entrerais dans l’histoire !
Bon faute d’y entrer, revenons-y; ce moment unique de l’histoire littéraire d’Alsace est prévu dans les meilleures librairies pour le sept Avril.

C’est encore tout exalté de cette nouvelle incroyable d’excellent augure pour la vie culturelle, économique et politique de notre région que je rencontre mon copain TH, le chevelu éructant qui, en tant que rédacteur en chef préside aux destinées d’un brulôt mensuel auquel il m’arrive, avec bonheur, de prêter ma plume (j’allais écrire collaborer, étourdi que je suis…) Lui ne partage pas mon enthousiasme. Je le sens peu réceptif, dubitatif autant que lointain…Il faut dire qu’il est d’une autre école, d’un autre horizon, bref sans être d’un autre bord, eu égard à son hétérosexualité compulsive et hautement revendiquée, il est d’un autre avis.

Pour lui j’ai tout faux. Il est persuadé qu’un tel angle d’approche est dépassé, faisandé, quasi tchernobilisé. Bien sûr la grande dame des lettres britanniques est tout en haut du tableau des auteurs les plus traduits au monde. Mais c’en est fini de tout ça, des classifications hétéroclites et hasardeuses, des belles enfances blondes au service de l’histoire et de la propagande positiviste…Il reprend son souffle, il ne parle plus il mitraille :
“Aujourd’hui l’électeur veut du démesuré dans l’agit prop, du pantagruelique. Il veut mater toujours plus. Et pas de confusion des genres mon coco, pas de filtre ou de flou artistique
pas d’hamiltonneries ni d’albicocoteries gnan gnan. Il veut du visible, du plus visible que le visible, l’abolition de la distance scénique, le spectacle partout… Fini Guignol , Gnaffron et les pantins. Le porno a envahi le champ politique parce que les masses veulent l’ambiance surexcitée d’un stade olympique, finie la scène, place à l’arène ! Les élus sont devenus des acteurs obsédés par la performance et l’exploit, tant à la chambre des députés que dans la chambre à coucher, ou la chambre d’hôtel… aussi bien  à la merci de foules en délire que d’une femme légitime ou une femme de chambre….c’est pas moi qui le dit c’est notre vocabulaire….et tout ce barnum est chauffé à blanc par des proxénètes de la com, des cyber putes journalistiques soutenues, c’est le cas de le dire, par les maquereaux des médias qui savent très bien qu’avec la bonne quantité de lubrifiant plus ça sera gros, plus ça passera… Fini “le vert paradis des amours enfantines, les courses, les chansons, les baisers, les bouquets….” Aujourd’hui si le littéraire s’introduit dans le politique, il faut de la jouissance, du paroxysme… C’est plus la bibliotheque rose qu’on attend, c’est soixante neuf nuances de brun, à sec dans l’urne…et quand tu le glisseras dans la fente c’est pas oui que tu diras c’est oh oui oh oui oh oui…. Rien à faire pour l’arréter… Il aurait pu vaticiner des heures durant quand, sur le point d’appeler les urgences ou les pompiers,  je choisis de me réveiller au bord de l’étouffement… Il y a un tétard parfaitement coiffé, la raie au milieu, la bouche  grande ouverte qui me fixe de ses yeux encore avides de découvrir le monde comme si j’avais bouffé le père noel, le lièvre de pâques et la petite souris réunis…
Je suis dans le Strasbourg-Bale de dix heures cinquante et j’ai loupé mon arrêt à Sélestat… J’ai une  pensée  rassurante pour Winsor Mac Cay et la phrase récurente en bas de page de son héros le plus célèbre… j’aime mieux ça … Je crois qu’il faut vraiment que j’arrête le café car, même si Voltaire et Kant, qui en buvaient douze par jour ont vécu jusqu’à quatrevingt ans…on ne dit pas dans quel état… C’est plus fort que moi, mon instinct me dit que ce gosse va m’adresser la parole, et ça ne loupe pas; il me tend son volume de la bibliothèque rose à deux mains et me demande dans un grand sourire si je connais Oui Oui….
Je prends l’air détaché, mais non dénué d’autorité qui ne m’a pas quitté depuis le cours préparatoire et, en me penchant lentement vers lui les mains ballantes entre les jambes je lui glisse doucement :”écoute, tout le monde sait que la littérature commence et finit avec Petzi…!
Puis, tout satisfait de mon trait d’esprit, je tente vers sa maman une espèce de sourire amical non dénué d’une tentative d’approche assez lointainement sous entendue.
Elle est la réplique exacte de la trois quart blonde qui, dans la préhistoire du paysage audiovisuel français, déclarait dans une diction parfaite à la lubricité retenue typique des années Pompidou, s’être mise  d’accord avec son mari pour faire un truc spécial deux fois par semaine… Elle a le charme figé d’exotisme d’une otarie sur la banquise, elle en a la froideur et aussi l’inaccessibilité desepérante…
Mon intervention l’a interrompue dans sa lecture d’un ouvrage dont le titre est dissimulé par une couverture en papier kraft opaque de couleur grise et qu’elle tient bien à plat sur ses jolies jambes au galbe parfaitement d’équerre avec le siège. Mon logiciel intégré de lecteur maniaque à la curiosité maladive reconnait sur le champ la saloperie romanesque à l’érotisme réfrigéré qui vient d’être achetée par une cinquantaine de millions de ménagères de par le vaste monde… Il y a comme une main invisible qui me saisit, me rejette en arrière et me plonge d’une fermeté inouie dans un sommeil immédiat et protecteur, comme le mitrailleur arrière d’une superforteresse volante en feu ; sans parachute et sans espoir.