Faire le ménage dans un salon du livre ne nécessite pas de dispositions particulières. Pas besoin d’avoir lu Clausewitz ni d’avoir un vieil oncle résistant de la première heure. Vous savez celui qui, à chaque fête familiale ayant baigné votre enfance, vous a fait assister en direct à la débacle de l’armée de Paulus face à Joukov, en insistant sur l’importance primordiale qu’occupa l’usine de tracteurs à Stalingrad dans le plan global du plus grand stratège que l’armée rouge ait jamais connu. J’écris rouge car si j’écrivais russe ce serait partiellement erroné et plus personne ne sait aujourd’hui ce que veut dire soviétique. Tout cela pour vous dire qu’il est beaucoup plus facile de se débarrasser d’une bande d’auteurs et d’éditeurs indisciplinés que d’encercler toute une armée allemande.
La marche à suivre est simple.
D’abord prétextez des travaux. Nous sommes des gens compréhensifs, prêts à faire un effort, ouvrir une parenthèse sur une édition pour peu que l’on soit assurrés de travailler l’année suivante. Puis mettez le tout en sourdine. Nous sommes autant oublieux que compréhensifs. Surtout nous sommes plein de confiance dans l’être humain en général et le bibliothécaire en particulier. Nous ne verrons le lézard venir que lorsqu’il sera trop tard pour l’attrapper. Enfin mettez-nous devant le fait accompli d’un planning déjà établi. Prétextez la surcharge de travail, la pression infernale des élus. Circonvoluez, louvoyez, montrez progressivement l’énervement, de geignarde passez à autoritaire. Pour finir jouez-la Robespierre, sans appel. Nous sommes des garçons à l’éducation, pour beaucoup d’entre nous, irréprochable mais qui, même en présence de dames, peuvent perdre leur sang froid pour peu qu’on le leur chauffe. En un laps de temps ridicule les plus courtois vous raccrocheront au nez ou briseront l’échange irrémediablement fâchés. (le verins culturel craque si vite dans nos professions…) Ceux d’une moindre éducation oseront l’invitation à une combinaison subtile sodomite et zoophile d’un imaginaire d’autant plus dégradant qu’ils se permettront de méler votre pauvre maman au scénario.
Fin de la stratégie.
Vous êtes débarrassé(es) des inutiles, des petits, des obscurs, des sans grades. J’ai raconté tout cela par le détail dans un opuscule qui m’a valu un certain succès et une franche sympathie de la part d’autres évincés et de fidèles visiteurs du salon du livre de Colmar. Voilà que les petites soeurs de Pinnochio remettent le couvert (on ne change pas une équipe qui gagne). Elles ont déjà tellement osé dans le registre qu’elles ont dépassé, et de loin, le fameux tout qu’Audiard utilise pour les définir. Cette fois-ci c’est un éditeur breton qui a fait les frais de la manoeuvre autoritaire. Sauf que. Dans le cas présent, si j’en crois les correspondants qui m’en informent, l’éviction serait due à une remarque de nos amis bretons sur le bilinguisme qui n’aurait pas été appréciée. En fait je ne vois pas pourquoi je mets cela au conditionnel. J’ai pleine et entière confiance en mes confrères bretons. A choisir entre leur parole et celle de monomaniaques reines du pipeau incapables de moucher la morve qui leur pend à l’appendice de proportion Collodienne, je n’hésite pas une seconde.
Cela n’est pas surprenant, ni dans la forme ni sur le fond. Il n’y a pas à s’en indigner. Il est parfaitement inutile d’écrire, de pétitionner, d’en appeler à un cousin ministre ou à une amie actrice qui connaitrait qui vous savez… (encore que…là ce serait assez costaud). Il faut simplement rappeller les faits dans leur réalité la plus simple à chacun de vos lecteurs , de vos correspondants, de vos amis.
Enoncer pour mieux dénoncer. Une simple mise en lumière de la connerie humaine. il n’est même pas concevable d’en appeler au boycott du Salon du livre de Colmar. Ce serait totalement contre-productif . Il est un grand nombre d’auteurs et d’éditeurs pour lesquels cette manifestation reste une vitrine exceptionnelle. Il y a deux types de lecteurs : ceux à qui cet apartheid culturel sciemment entretenu et non contesté par la hiérachie communale ne pose aucun problème et ceux à qui ça en pose un.